Brocante Daee, 1783 Old Bailey, Hull, Canada

Une façade étriquée, à peine plus large que la porte. Deux marches de pierre bancales, une porte de bois antique dont la peinture s'est écaillé près de la poignée. Dans la fenêtre de la porte, peint en lettre dorée, le mot "Daee". Par les beaux jours d'été, parfois, une chaise de bois fait son apparition sur le trottoir...

La boutique est tout en long, il s'y entasse des objets éclectiques du planché au plafond. Ce n'est pas une boutique d'antiquité huppée, mais bien une brocante poussiéreuse. Son propriétaire connaît l'histoire de chaque pièce de marchandise. Le propriétaire s'appelle Paul Daee, c'est un excentrique tout aussi susceptible de refuser de vous vendre pour un oui ou pour un non, que d'enfoncer qqchose dans vos poches avec un clin d’œil complice.

« VLAM » fit la porte en claquant, ébranlant la charpente.

Lui avait-elle vraiment claqué la porte au nez? Évidemment.

Le propriétaire des lieux, derrière son comptoir, lève le regard par-dessus la monture de ses lunettes. Ses cheveux jadis gris, sont devenus blanc : Paul Daee a 72ans… La main toujours sure, il reporte son attention sur la perle de bois dont il ponce délicatement les pointes à diamant. « Bonjour Sam, bienvenue, Sam. » Il ne s’émeut pas de la porte claquée. Sam avait toujours claqué les portes avec style. « Il est avec moi… » avertit-elle simplement.

Sa nièce s’avança dans la pièce, magnifique, pensa-t-il. Sam avait toujours eu cette assurance tranquille que confère la connaissance. La maturité l’avait rendue encore plus feutrée… D’un bon, elle vint se jucher sur le comptoir caisse. « Alors Hale, tu fais le méchant et moi la gentille? Nous sommes ici pour affaire, Monsieur Paul Daee. »

L'interpellé se pointe, tranquillement, les mains dans les poches et sa baguette d'os à la cuisse, ultime provocation pour la brigade inquisitoriale. Une fois qu'ils la lui ont redonné, et qu'un connard du bureau a essayé de la lui reprendre...

Le gus n'a plus de couilles. Et ca lui a valu un retour au lavage de cerveau en règles.

Pour affaire wais...

Taciturne, torve, il va vers le plateau d'échec, examine soigneusement les pièces. C'est à son tour de jouer. La poussière y indique le nombre de temps que la partie a débutée.

Puis il bouge une pièce avant de se tourner vers Paul.

Vous ne feriez pas de l'artisanat sorcier par hasard?

Paul haussa la perle en pleine lumière pour mieux admirer son travail. « Je ne fricote pas avec les sorciers. » dit-il placidement. « Nulle magie civilisée n’a jamais souillé les murs de mon échoppe. »

C’était vrai. Seulement en ce qui concernait la magie civilisée, évidemment, mais peu de sorcier savaient qu’il existait d’autres formes de magie. Paul souleva le chat de ses genoux et le fourra dans les bras de sa nièce. Il observa l’échiquier quelques secondes et joua. « Échec »

Par-dessus ses petites lunettes, le vieil homme souriait à l’assassin d’un air incroyablement satisfait. Un chat avec de la crème sur les moustaches. Il n’était évidemment pas question du jeu…

« Oncle Paul, tu as eut de la visite inhabituelle récemment? » s’inquiéta sa nièce. « Ce genre d’enquête prend généralement sa source dans une plainte… » « Un conseil de quartier en ébullition? » suggéra le vieil homme. « Ils vont se calmer rapidement, il faut bien que jeunesse se fasse… »

Discuter de façon évasive de leur vie familiale devant Halewyn était un sport. Léandre avait tout récemment été renvoyé de l’école de sorcier des Portageurs. Il était effectivement bien possible que ça ait créé des remous.

« Si quelque chose a attiré l'attention sur moi, il est bien possible que ce soit mon nom. Puis-je vous garder à dîner? »

Je ne fricote pas avec les sorciers... Nulle magie civilisée n’a jamais souillé les murs de mon échoppe.

Halewyn note simplement, en regardant la tranche d'un bouquin.

Les sorciers c'est indigeste. C'est connu.

Échec

Halewyn rend le regard au vieil homme. A la même expression que Paul. C'est rare de les voir si compliants ces deux là. Phoenix et Halewyn que je parle. e toute facon, il n'est pas dans leur avantage de dénoncer le vieil homme. Hale reporte son attention sur les pièces et les étudient attentivement. Diverses combinaisons plusieurs coup à l'avance se forment dans sa tête.

Oncle Paul, tu as eut de la visite inhabituelle récemment? Ce genre d’enquête prend généralement sa source dans une plainte…

Un conseil de quartier en ébullition? Ils vont se calmer rapidement, il faut bien que jeunesse se fasse… Si quelque chose a attiré l'attention sur moi, il est bien possible que ce soit mon nom. Puis-je vous garder à dîner?

L'assassin bouge une pièce. Le cavalier s'insinue sournoisement dans les défenses du vieil homme et se place en position intouchable.

Contré et échec... Si il y a du steak cru au menu je suis partant. La bouffe de cantine me donne des ulcères et je suis sensé détester le saignant. On interrogera les voisins après... Histoire de trouver la mal baisée derrière tout ca.

Léandre tenait beaucoup de sa mère dans ses bons jours. Elle était une gamine beaucoup plus facile à vivre, mais l’époque ne s’y prêtait pas.

« J’ai grandit ici… Ces braves gens ont de bonnes raisons de se plaindre. » Insinua la sorcière. « On ne touche pas au voisinage. Contente-toi de donner le change. »

« Sam! Sois polie, Halewyn est un sorcier comme un autre! » cingla le vieil homme avec fermeté. « Hale, venez, passons dans l’arrière boutique, je suis certain de vous trouver quelque chose de saignant… » Et passant devant l’échiquier, il déplaça une pièce, le fou… « Échec »

Muelle, juchée sur le comptoir, le chat dans les bras, jeta un regard sombre à son partenaire. Elle transpirait de déconvenue. « Il triche tu sais… Il te laisse gagner… » fit-elle perfidement. Elle détestait quand son oncle prenait la défense d'Halewyn.

Oh, je le sais et il le sait...

Répond Halewyn perfidement. Autant que sa partenaire. Il se penche et souffle sur l'épaisse couche de poussière, effacant les preuves du délit.

Il n'y a de triche que lorsqu'il y a des preuves...

Il déplace alors sa reine, en plein dans la face de Muelle. Elle peut voir que la partie ne se joue pas dans les règles... Halewyn aussi triche, et le vieil homme le sait.

Contré et Echec....

Dit il à Paul en entrant dans la cuisine.

Alors ce steak?

Samuelle grinça des dents tout l’après midi pendant qu’Hale explorait avec elle les rues et ruelles du vieux Hull. Ce dernier, contenté par un plantureux dîné de viande crue souriait à tout vent.

La visite du voisinage par un sorcier inquisiteur antipathique et une jeune femme qui ressemblait à s’y méprendre à la nièce du brocanteur, bien qu’elle soit définitivement trop jeune, prouva une chose : Personne n’avait plus rien à dire au sujet du vieil homme.

On en resta à la version officielle : un vieil autochtone brocanteur et éprit de charlatanisme. Même pas un crackmol.

Elle avait transplanné dans la nuit, fidèle à ses habitudes. Sa nièce dormait dans un fauteuil de l’atelier, roulée sur elle-même, tel un chat qui sommeille, abandonnée, un long bras caramel tendu dans le vide. Le vieil homme frémit d’horreur en imaginant ce que devaient encaisser ses articulations. Elle aurait bientôt 40ans… Seulement elle était morte à une époque.

Samuelle passa toute la semaine à la boutique, fouinant partout pour dénombrer les nouvelles acquisitions de la brocante, s’employant à ses affaires personnelles au grenier. Elle était la gardienne du secret. Elle seule connaissait la localisation des pierres de garde et pouvait initier qqn aux sombres sentes. Sur ses feuilles de calculs, des mathématiques vectorielles; l’art de se déplacer dans les champs de pierre, de s’y retrouver.

Ce matin là, elle avait entreprit d’explorer le coffre de son oncle. Les pierres personnelles d’un Daee sont les plus précieuses, les plus puissantes. Ses longs cheveux mouillés sont agglutinés dans son dos en quelques grosses mèches noires. Tshirt rouge des Sex pistols, jeans antique plein de trou et pantoufle en forme de lapin rose. Visiblement elle sort du bain. Ce sont ses vêtements, évidemment, mais ils appartiennent à une autre vie, une vie qu’elle n’a jamais retrouvé, qu’elle se contente d’emprunter de temps à autre. La Samuelle qui se trouve là semble curieusement tendre, commode et avenante...

Assise sur le parquet mal ciré, devant le coffre, elle tient une à une les pierres dans ses mains. Une pierre particulière capte son attention. Elle s’y attarde, la caresse du pouce. Il y en a partout autour d’elle…

Une voix résonne derrière elle, une voix rauque, froide, bien connue résonne. Il la prend en faiblesse, encore une fois. Devant ses sacro saintes pierres en plus.

Et Samuelle Daee sait que Halewyn est loin d'être con, même s,il ne pose pas de questions.

Donc, la voix rauque résonne.

Les vacances sont finies.

En se retournant, elle peut voir Oncle Paulen arrière plan, qui hausse ses sourcils broussailleux l'air de dire qu'il n'a pas pu l'annoncer.

Au fait réutilise une fois de magie sur nous, et l'accord passé avec ton cher oncle sera nul. Je te boufferai en ragoût. Ramasse tes cochonneries, si on a pas retransplané bientôt dans tes quartiers, les autres vont venir défoncer la porte... Remballe et grouille.

Parce que sa puce de localisation y est. Manière de dire qu'il lui fait une faveur, vendre la brocante aurait été si facile.

L'acier est froid et tranchant. Halewyn ne rigole pas. Mais pas du tout.

La sorcière se retourne vers la voix, l’air rêveur, en transe. L’or de ses yeux jaune brille de façon inhabituelle, la lueur tournée vers l’intérieur. Halewyn enfreint les limites qu’elle lui a imposé et pourtant elle ne l’accable pas de la façon habituelle.

Paul Daee passa devant et lui enleva la pierre de la main. « Ce sont les miennes », excusa-t-il, « Les souvenirs d’un vieil homme… » Il aida sa nièce à se relever, lui mettant ses feuilles de calcul dans la main, et la poussa vers l’escalier. Le regard qu’elle jeta à l’assassin était redevenu franchement sauvage, tout Muellien.

Le vieil homme replaça les cailloux dans le coffre et s’assit sur le couvercle. « Vous n’avez jamais travaillé pour l’ordre du Phoenix, non? » questionna-t-il en faisant sauter une pierre dans sa main.

Ils lui retournent le regard, acier taché de sang contre L'or liquide. Mais Paul détourne son attention.

Semble chercher dans sa mémoire.

Si j'ai travaillé pour eux ils se sont pas identifiés.

Le viel homme continue sa pensée

Et si vous aviez su que c'était eux... Vous auriez accepté?

Halewyn répond, à l'aise avec sa conscience... (pour autant qu'il en ait une) et avec sa nature.

je tue, je suis né pour ca, qui paie m'importe peu

Le vieil homme eut l’air peiné… Ce n’était pas la réponse qu’il voulait entendre, manifestement. D’un lancé en chandelle il lui envoya la pierre « Oui mais tout en étant un assassin, vous êtes un homme. Il y a la belle gitane et vos enfants… » fit-il, étudiant sa réaction. « Vous n’êtes pas un fou, vous avez une ligne de conduite. Je ne crois pas que vous tueriez n’importe qui pour n’importe qui d’autant qu’il paie… »

« Ne te fatigue pas, il travaille pour la Chiméra… » fit Samuelle, en lui arrachant la pierre des mains et en le repoussant vers la porte. « T’avais pas le droit de venir ici… Tu n’as pas été invité… » jura-t-elle entre ses dents.

La belle gitane c'est connu... Mais il a appris comment pour ses morveux?

Le regard gris se pose sur la Daee quand elle lui arrache la pierre. Le pousser vers la porte? Elle pourrait aussi bien essayer de pousser le mur.

« Ne te fatigue pas, il travaille pour la Chiméra… T’avais pas le droit de venir ici… Tu n’as pas été invité…

Et la roche lui est prestement réarrachée. Et l'assassin la repousse, assez pour l'obliger à reculer de deux pas environ pour qu'elle reprenne son équilibre. La mâchoire est carrée, ferme et de mauvaise humeur. Par réflexe, il y a un bref éclair argenté vite rentré dans la manche.

Me touche pas toi... Fallais y penser avant de faire tes conneries. Tu viens ou jte traine...

Les yeux d'or de la métisse flamboyèrent d'un éclat sauvage. Elle tendit la main, impérieuse : « Rends-moi ça! »

Il la chope par le collet, sans rien dire, les yeux décourageant toute tentative d'interposition du vieil homme.

Puis il la la traine vers la sortie.

« HALEWYN! » claqua la voix de la sorcière. Pas une intonation hystérique, ni le rugissement d’un animal en colère. La froide colère d’une Samuelle Daee offensé. Elle se débattit furieusement, lui donnant un magnifique aperçu de la petite furie qu’elle avait jadis été.« Halewyn, je te jure que si tu ne me lache pas, c'est moi qui te boufferai en ragout aussi indigeste sois-tu! » Le trajet fut long et pénible jusqu’à la porte mais la veste de cuir tient bon…

Une voix d’asthmatique les rattrapa sur le seuil. « Halewyn, vous avez quelque chose qui m’appartient. » Paul ne parlait pas de sa nièce, évidemment.

HALEWYN!

Bon, elle va lui sortir quoi encore. Une traction vers l'avant, ne donnant pas réellement le choix à la sorcière. Elle se débat, mais il tient avec une force étonnante, comme une serre de rapace tient un lièvre dodu et fringuant.

Halewyn, je te jure que si tu ne me lache pas, c'est moi qui te boufferai en ragout aussi indigeste sois-tu!

L'assassin fait faire un solide quart de tour au collet, affermissant sa prise.

A moins de vouloir crever empoisonnée, j'te conseille pas. Tiens t'en aux pierre, comme ca tu pourra essayer de me lapider.

Dit il, la trainant sans égard pour son égo démesuré

Halewyn, vous avez quelque chose qui m’appartient.

Hale la pose sur un meuble dont il passe à côté

Il ouvre la porte et propulse Samuelle dehors, ne la lâchant pas... Puis passe le cadrage lui aussi.

Ils se valaient bien ces deux là. Tellement semblables, de force égale, que c’en était troublant. Et ce sale petit caractère s’opposant à la perfection. Paul se trouvait rassuré de connaître l’assassin, certain qu’il contribuait à l’équilibre, à l’équation, aurait argué Samuelle. Paul vint reprendre la pierre… Halewyn ne l’avait prise que parce qu’elle la lui avait enlevé… Cette pierre là était terrible, c’était une pierre de fond de lac datant du quaternaire. Une pierre extrêmement puissante.

Une fois dehors, Samuelle s’arracha à sa poigne, fit volte face, pointa un index impérieux sur lui et déclara : « JE TE HAIS! »

Il attrappe l'index pointé, le tord sans ménagement et approche sa sale gueule tout près de celle de la femme.

Ca tombe bien, comme ca on est deux... T'a d'autres mots doux à me dire comme ca? Continue tu m'excite.

Sourire baveux de Phoenix.

Suivant le mouvement pour préserver ses articulations, Samuelle se cambra de son mieux, écartant le plus possible son visage du sien. Le teint caramel de la belle métisse blanchit soudainement en réponse à Phoenix. « ARGL! » Elle lui planta son coude dans le plexus solaire, juste assez sèchement pour qu’il la lâche. Elle était furieuse! Mais furieuse!

D’un geste sec, elle tira sur sa veste de cuir, rectifiant sa mise. « Et ne me touche pas! » ordonna-t-elle les yeux étincelant de rage.

Un froissement de cuir, un éclair sang, et elle se retrouve dans ses bras. Ou plutôt coincé dans ceux cii, sentant l'odeur musquée d,Halewyn avec celle de cendre de Phoenix. Ce dernier rigole justement tandis que deux mains se referment sur le postérieur de la métisse.

Comme ca?

Dit il avant de faire un tour, emmenant cette dernière comme dans une danse.

Un crac sonore, puis plus rien sur le trottoir.

Paul jouait du plumeau… Ce n’est pas parce qu’on tient une brocante qu’on accumule la poussière. Une haute armoire laquée d’origine japonaise qui était tombé dans l’œil d’une amie de Sam. Des jouets, toupies, casse-têtes et bilboquets, tirés de vieux cartons à la naissance de Léandre… Une large chaise de bois ciré à l’ancienne dans laquelle il avait tant bercé sa nièce et sa petite nièce. Bon, surtout sa petite nièce… corrigea-t-il mentalement. Un coffre remplis de cailloux… Paul Daee avait bien vécu, une longue vie… Il souleva le couvercle, caressant ses pierres personnelles d’un geste tendre. Les pierres personnelles d’un Daee sont les plus puissantes.

Le tintement des clochettes le fit se retourner. Un client? Non… Un Daee…

- Bonjour Pierre, soit le bienvenu…
- Bonjour Oncle Paul! Ma baguette est-elle prête?
- Elle n’attend plus que sa précieuse étincelle de Djinn.

Pierre Daee, exhibant une peau soigneusement pliée, suivit le vieil ébéniste dans l’arrière boutique. Là, sur l’établie, une magnifique baguette fraîchement poncée, attendait que son vernis sèche. Si les anglais préfèrent se faire choisir par leur baguette, les canadiens usent d’autres procédés. C’est un art perdu de la vieille magie sauvage et pourtant quand on sait à qui s’adresser… Pendant que l’artisan fini de confectionner la baguette, le regard de son neveu ère sur les portraits affichés sur les murs.

- Je me souviens de celle-là… C’est le jour où j’ai emmené Sam se faire confectionner sa première baguette… La première d’une longue suite! Tu avais menacé pendant un temps de les lui faire en série!
- Oh oui… Elle n’était pas commode ta petite sœur.

Il parlait toujours d’elle au passé; volontairement maintenu dans l’ignorance.

- Je l’adorais néanmoins. J’étais si fier que cette responsabilité m’ait été donnée. Lui faire confectionner sa première baguette!
- Si mes souvenirs sont exacts, tu l’as traîné ici de force, enserrant son poignet d’une poigne si ferme qu’elle avait des bleus…
- Je n’avais pas le choix! À 4 ans, elle était déjà une force de la nature!

Du bout des doigts de sa main libre, Paul tâtonna sur une tablette. Il y dénicha une peau raidie par l’âge et la tendit à son neveu.

- C’est l’étincelle qui lui destinait votre père…
- Ça n’a jamais marché…
- Non…
- J’aurais dû m’opposer à ce que tu utilises du poil de Windigo…
- C’est un artéfact puissant, il convenait mieux à Samuelle… Et puis ce n’est qu’un autre genre de démon cannibale, se nourrissant d’âme et de sang…
- Quand même. Le Wendigo est la personnification de l’appel du vent que certaine âme solitaire entendent et qui les conduits à la destruction. C’est un Alf de l’abîme bien antérieur aux Djinns qui nous sont propres. Il n’y a rien d’autre que la folie et la mort à attendre de lui…
- Sauf si on s’en moque… Ta sœur s’en est toujours moquée, elle.

Ils se turent tous deux, le silence se ramifiant entre eux. Pierre ramassa le chat sur un fauteuil, enfouissant ses mains dans sa fourrure, apaisant la vivacité de ses souvenirs. Il était naturel de parler d’elle avec son oncle. Elle avait été la nièce préférée du vieil excentrique. Ses lunettes sur le bout de son nez, Paul glisse à l’aide de pinces l’étincelle de Djinn qui donnera son pouvoir à la baguette de son neveu. L’opération, exécuté en plein soleil d’après-midi, est bientôt terminée. Un mince goujon est mis en place, une touche de pâte de bois soigneusement raclée et c’est terminé. Paul Daee admire son œuvre. Pierre l’observe par-dessus son épaule, satisfait.

- Je peux?
- Tu peux… acquiesça le vieil homme en lui échangeant la baguette pour le chat.
- Elle est magnifique, tu n’as pas perdu la main… apprécia-t-il en faisant jaillir quelques étincelles.
- Il est facile d’assortir une baguette à un être dont on connaît si bien la nature profonde… lui répondit énigmatiquement son oncle en le reconduisant à la porte.

Pas de thé, pas de biscuit… Rien pour s’étonner, Paul Daee ne l’avait jamais reçu autrement. Avant de partir, l’artisan s’arrêta devant son coffre entrouvert et y prit une pierre. Il rejoignit son neveu à la porte et lui tendit la pierre qu’il avait à la main. Distraitement, celui-ci la prit pour la lâcher aussitôt comme s’il s’était brûlé. La pierre roula sur le sol de vieux bois franc.

- Qu’est-ce que c’est que ça? Fit-il d’une voix forte, en proie à une vive émotion.
- Ça? C’est une pierre… D’origine parasédimentaire, je dirais, arrondie par les glaciers et affinée par les eaux d’un lac…
- Les eaux d’un lac?
- Oui, les eaux du lac, près du manoir… Tu connais ce lac, n’est-ce pas? Tous les Daee connaissent les eaux de ce lac… Dis-moi, on s’y réuni toujours pour les réunions familiales? Non, n’est-ce pas?
- Ma sœur y est morte.
- Oui, elle s’est noyé imprégnant toutes les pierres du lac.

Un long silence se déploya entre les deux hommes… Chacun plongé dans ses souvenirs.

- Je suis heureux de te voir bien portant, Pierre. Vraiment. Et je suis curieux, plus que curieux en fait, de voir comment tu comptes t’amender du mal que tu lui as fait, du sort que tu lui as réservé.
- Samuelle est morte…
- Et elle a emporté une part de ton âme dans sa tombe. Elle a emporté une part de chacun de nous. Je suis heureux de voir que tu vas bien.

Pierre Daee se pencha pour ramasser la pierre. Sa main tremblait et pourtant ses doigts se refermèrent sur le minéral.

- Ce n’est pas ce que j’ai voulu.
- Je suis certain qu’elle non plus.

Il existe un lien entre les enfants d’une famille. Un lien qui subsiste au-delà des regrets, de la haine, de la rancœur, de l’amertume et même après l’impardonnable, même après l’inexcusable… Comme un ridicule espoir… Paul Daee referma délicatement la porte sur son neveu. Il ne pouvait pas chasser un membre de sa famille de chez lui. Mais il était libre de le recevoir à sa manière.

Ça avait été imprudent… Paul l’avait su au moment même où Jinx avait poussé la porte de la brocante. La baguette braquée sur lui, les intentions de son cousin étaient claires, il comptait user de la force nécessaire. Ça avait toujours été une question de force nécessaire… Il avait la pierre du Lac dans la main, Paul s’était demandé s’il avait osé toucher une des pierres du lac auparavant. Les pierres personnelles d’un Daee sont les plus puissantes.

Son coffre avait été mis à sac, renversé sur le sol de la boutique. Et pendant que Paul se félicitait de n’avoir jamais imprégné de pierre trahissant l’existence de Léandre, Jinx avait pillé ses souvenirs, sa mémoire. Ça avait été odieux, un saccage, un viol.

Aucune pierre ne trahissait son secret… Le vieil homme avait toujours utilisé la magie sauvage avec parcimonie… Il l’avait partiellement abandonné ces dernières années, n’usant plus que de la magie civilisée… Il le fallait bien pour élever Léandre. La pierre la plus récente marquait l’assassinat de sa nièce. Elle et la pierre du lac. Jinx ne l’avait pas cru lorsqu’il avait déclaré avoir lui-même prélevé la pierre. Les pierres personnelles d’un Daee sont les plus puissantes et il existe un tabou envers celle-ci. On ne touche pas au pierre personnelle d’un Daee. Ce serait un peu comme toucher son âme et Paul était un homme trop droit pour infliger pareille offense, même à sa nièce adorée. Samuelle la lui avait remise en main propre, à sa demande, c’était une faveur, une grande faveur. Il lui avait rendu cette faveur de bon cœur. Il la lui avait rendu 12 ans durant, la protégeant, elle et sa fille.

Une à une, il tria et replaça les pierres de son coffre. Samuelle devait être avertie.

Ses neveux et sa nièce s'attardèrent à la brocante après le départ de Jinx.

Lemony semblait faire le guet à la fenêtre alors que Charles fouillait le reste de la brocante, à la recherche de quelque chose. Il ne trouverait rien, Léandre était partie, Samuelle n'avait jamais vécus là. Philippe, agenouillé près du vieillard, l'aidait à rassembler les pierres, se confondant en excuses marmonnées à voix basses. Il ressemblait à un enfant en état de choc qui aurait été entrainé bien malgré lui au délà de ses propres limites. Philippe avait toujours été un enfant fragile, un maillon faible. Pourtant c'est sa cadette qu'ils avaient choisi de sacrifier...