Quelque part à Manhattan

!

Elle l’avait défié.


Léandre ne chercha pas à lui échapper, à s’écarter. Elle reste au plus près de lui sans s’intéresser à la destination. Elle le regarde droit dans les yeux, plongeant le noir abyssal de ses iris dans la glace. Parce qu’elle est presque aussi grande que lui maintenant…

« JE SAVAIS QUE T’ALLAIS FAIRE ÇA… » déclara-t-elle, un sourire s’étirant sur ses lèvres roses. Un petit sourire satisfait, mystérieux, qui fait naitre plein d'interrogation.

!

Il ne lui voulait aucun mal. C'était déjà fait de toute façon. Ou peut-être pas. Mais dans ce cas, c'était pas maintenant de toute façon. Et elle sait tout ça... ou presque. Elle n'a pas peur de lui, elle l'a dit. Lui non plus n'a pas peur d'elle. Mais il sait qu'elle fera de grandes choses. Et ça, c'est impressionnant.

- JE SAVAIS QUE T’ALLAIS FAIRE ÇA…
- Je suis si prévisible ? demande-t-il, même si c'est pas vraiment une question. Il jette un regard autour de lui, pour s'arracher au regard noire de Léandre. Bienvenue à New-York, la ville des morts.

Parfaite image post-apocalyptique. Les buildings plus ou moins détruits, partout le feu a noirci les murs de béton, des débris partout. L'odeur de fumée et de morts est prenante. Et un silence de morts. Pas un bruit, si ce n'est le vent entre les immeubles. C'est encore le jour, la ville morte somnole encore, mais le soleil descend lentement, étirant les ombres des buildings.

Brave oui, mais pas suicidaire... Si sa mère avait posé cette question, Léandre aurait opté pour un replis stratégique immédiat. On ne tente pas le diable. Une saine méfiance lui mordit le coeur: il l'avait poignardée. Et qui est devenu Morayeel, après tout? « NON PAS DU TOUT.. » rétorqua-t-elle en toute franchise. « MAIS JE LE SAVAIS ! » À cet instant précis, il y eut une sorte de ferveur dans ses yeux noir, une flamme qui brillait autrefois dans ceux de son grand-père. Quelque chose qui donne l'impression qu'il vient de remporter une manche.

Elle se retourna pour voir ou elle était et eut un mouvement de recul. L’actualité est une chose, les 3D d’une réalité en sont une autre. Elle fit trois pas en avant, visiblement revenue de sa stupeur.

« QU’EST-CE QUI S’EST PASSÉ ? OU SONT LES GENS ? » Elle se retourna vers lui. « POURQUOI TU M'AS EMMENÉ ICI? »

Il s'attendait à ce genre de question. Ça, c'était prévisible... et ça va de soi.

- Quand River Hadamson est revenu, il a reprit la place qui aurait du lui revenir il y a 20 ans. Il a été très contrarié de voir ce que les moldus ont fait du monde magique vivant et encore plus du monde magique mort. Il a ouvert la porte des Hadamson vers le monde de morts et a libéré des tas de créatures du monde des morts. Et il les la lâché sur New-York. La suite va de soi, mais pourtant, il le raconte. Ça provoqué beaucoup de morts. Des tas de moldus ont perdu la vie... mais beaucoup sont encore là. Il n'y a plus de gens... enfin, à part nous deux... des gens vivants... mais il y a des gens... des gens morts... mais ils préfèrent la nuit... le jour, c'est leur nuit, explique-t-il.

Un grattement sur le béton se fait entendre. Morayeel ne s'en formalise pas. Il connait le genre, mais il se rapproche de Léandre et lui prend la manche.

- C'est une goule. Enfin, des goules... mais y'en a toujours qu'une qui se montre. C'est une tactique de chasse... quoique les goules se nourrissent plutôt de cadavres... elles ne s'attaquent pas très souvent aux vivants... sauf ici. C'est leur boulot...

D'ailleurs, comme annoncé, une goule se découpe dans le soleil déclinant, tirant sur le orangé. C'est visuellement une horrible créature. Mais techniquement, elle est incroyable. Elle descend le long du mur, en se balançant d'un rebord de fenêtre à un autre, aussi aisément que si la gravité n'avait aucune influence sur elle. Elle touche le sol quelques mètres devant eux.

- Tu ramènes de la chair fraîche, Jeune Nécromancien ? Mais y'a frais et frais... elle bouge encore... constate-t-elle, déçue.
- C'est pas pour toi, goule.
- T'as pas le droit d'amener des vivants, sauf si c'est pour manger, le maître sera pas content de toi.
- Au contraire. Il sera ravi de la voir, bien vivante, dit-il d'un ton qui pourrait faire croire le pire.

Il n'a pas lâché sa manche. Quelques grattements sur le béton font supposer que d'autres goules ne sont pas loin, mais on ne les voit pas.

Seul la stupéfaction l’empêche de montrer plus concrètement son intérêt.

Les yeux rivés sur la créature, la bouche de la métisse s’arrondie sur un O muet. Elle regarde par dessus son épaule et cherche à localiser les autres goules, bravant la plus élémentaire des sagesses qui dicte qu’on ne doit jamais regarder en arrière. Ses yeux noirs scrute le crépuscule.

Halewyn lui a apprit la théorie de la chasse. Ce n’est pas là un rendez-vous impromptu. Elle écoute la conversation et remarque leur mauvaise posture. Nécromancien, il est nécromant? Pas pour la goule? Pas à manger? Alors pour qui? Le maître? Son maître? Leur maître? Il était le seul vivant toléré en ces lieux. Quel genre d’entente existait entre eux… de la chair fraîche, à manger? Bien vivante?

Bien vivante… L’était-elle vraiment? Il l'avait poignardé. Elle avait demandé pourquoi il l’avait emmené ici… Les yeux noir de Léandre s’abaissèrent sur la main ganté de Morayeel. Sa main sur sa manche… Un geste difficile à interpréter… Il ne la retient pas, son geste est plutôt possessif. Léandre fronça les sourcils. « MORAYEEL? QUI SERA HEUREUX DE ME VOIR VIVANTE? ET POURQUOI? »

ET la goule (et les autres cachées derrières les bâtiments)

C'est pas vraiment une rivalité entre la goule et Morayeel. C'est plutôt de déterminer qui aura raison. Les goules font rarement confiance à qui est vivant. Enfin, manière de parler. Elles n'ont pas vraiment à faire confiance à ce qui est vivant parce que tôt ou tard, elle le boufferont. Elles ou d'autres, peu importe. C'est comme une corneille qui traîne sur le bord du chemin et qui observe une marmotte qui tente de traverser l'autoroute. Parfois, c'est la corneille qui finit par nourrir ses amies, mais bon, c'est la vie... ou la mort dans leur cas... donc, qui aura raison, c'est pas mal secondaire pour la goule. Et pis, l'apprenti nécromancien est un habitué. Le Maître leur a formellement interdit de le tuer et, jusqu'à une certaine limite, elles doivent lui obéir.

- Ah ouais ? Sera content ?
- Wais wais.

La goule semble réfléchir, puis recule un brin. Elle leur laisse le champs libre, semble-t-il. Léandre pose une question, mais il n'y répond pas. Pas maintenant.

- Mais vas-y maintenant. La nuit tombe et y a pas que nous ici. Y'a des morts bien pire que nous.
- Quoi ? T'es pas toute seule ? Bon sang, vous avez un de ces talents pour vous cacher, annonce Morayeel, avec peu d'enthousiasme et une ironie mordante. Pourtant, sous ses tentacules... ou quoique ce soit du genre, la gargouille semble ravie du compliment.

Pourtant, il ne se fait pas prier pour se remettre en marche, tirant sur Léandre pour ne pas la perdre. Possessif, certainement. Protecteur, aussi. Il y a des débris partout, il faut se concentrer un brin pour ne pas glisser. Des cailloux instables, du gravats glissants. Heureusement, c'est pas mouillé. À un moment, Morayeel s'arrête et pointe un bâtiment. Le seul encore intacte. Le plus haut encore debout. Facilement reconnaissable, c'est le Chrysler Building. Quoique, pas trop loin, il reste des vestiges encore assez imposants d'autres bâtiments reconnaissable.

Quand ils sont assez éloignés des goules, du moins en apparence, Morayeel daigne répondre à Léandre.

- River. Toi, morte, tout ce qui est mort t'aurait suivi de l'autre côté, sur toute la surface de la terre. Et River en aurait été vachement contrarié. Ça aurait détruit 5 ans de boulot. Il a déjà perdu assez de temps. Il s'arrête, regarde autour, puis tire encore sur la manche de Léandre pour qu'elle le talonne. D'ailleurs, on va le voir, maintenant.

Léandre se laisse entraîner de bonne grâce… C’est inhabituel de sa part. Mais qu’est-ce que le nouveau Morayeel en sait? « MO! MORAYEEL ATTEND! TU… TU NE PEUX PAS ME… » essai-t-elle de le prévenir trébuchant sur les débris… Il ne l’écoute pas du tout : il a prit une décision. Mais Léandre n’a pas l’habitude de laisser les autres décider.

Elle écoute ce qu’il a à dire puis la main caramel de l’adolescente se referme sur la manche du nécromant. Un avertissement soigneusement dosé.

« RIVER? JE NE LE CONNAIS PAS TON RIVER… MO, TU NE PEUX PAS ME BALADER COMME ÇA DEVANT TOUT LE MONDE… ON EST EN AMÉRIQUE ICI… Y’A DES GENS QUI SERAIENT TROP CONTENT DE ME METTRE LE GRAPPIN DESSUS TU COMPRENDS? » Elle n’allait quand même pas le laisser détruire ce qu’Oncle Paul, Maman et Hale ont accomplit depuis 16ans… « COMMENT TU PEUX ÊTRE CERTAIN QUE TON RIVER N'EST PAS DE CEUX LÀ? » Prudence et circonspection

Parce qu'elle lui attrape la manche... l'autre en l'occurence, il s'arrête, se retourne et la dévisage, l'air indéchiffrable.

Léandre avait grandi, elle avait vieillit... elle était grande maintenant. Presque aussi grande que lui. Le regard de cristal la détaille, attentivement. Qui sait ce que son père a bien pu lui mettre dans la tête durant toutes ces années.

- Tu as raison, il est de ceux-là. Il te veut vivante. Mais il est mort depuis longtemps, déjà. Il ne sait plus trop comment ça vit, les vivants. Alors c'est à moi que revient la tâche de te garder vivante. C'était presque la vérité. Viens on a un carrosse à prendre.

Et il la tire encore vers une rue passablement déblayée. Ça devait jadis être une grande rue, très grande rue.

« BOOOON, ALORS IL ME VEUT VIVANTE, CE QUI LUI DONNE UNE BONNE RAISON DE NE PAS ME TUER… » Elle le relâche et le suit maladroitement. « VIVANTE PARCE QUE SINON J’ATTIRE TOUS LES MORTS À MOI ET ÇA NE SERT PAS SES PLANS… » analyse-t-elle en foulant des herbes folles poussée dans les fissures de l’asphalte. « ET TOI TU DOIS ME GARDER VIVANTE… TRÈS BIEN… » Ils avaient presque atteint le carrosse puis elle freina à nouveau et d’une secousse le força à lui faire face…

Léandre savait compter.

« T’ES EN TRAIN DE ME DIRE QU’IL ME GARDE VIVANTE PARCE QUE JE PROTÈGE SES INVESTISSEMENTS… JE SUIS EN QUELQUES SORTES SON OTAGE? » C’était ça le principe d’un otage. Dans l’antiquité on adoptait l’enfant d’un adversaire comme pupille pour décourager toute de vengeance. En la gardant sous le coude, ce River empêchait quiconque de saboter son œuvre, sa ville morte… « TON OTAGE? » réalisa-t-elle…

Il n'aurait pas résumé la situation comme ça. Mais il devait avouer qu'elle avait visé plutôt juste. Du moins pour la toute dernière partie.

- Mon otage... dit-il, dubitatif, puis il confirme d'un hochement de tête. Ouais, t'as raison, c'est pas mal ça.

Il hausse les épaules, puis ouvre la porte translucide du carrosse. D'un mouvement du menton, il l'invite... ou plutôt lui recommande de monter à bord.

C'était presque ça. À la nuance que River ne tenait pas nécessairement à ce qu'elle reste ici. Tout comme Xoramen et son âme, les savoir près d'Halewyn, et savoir qu'il y tient aussi garantissait une protection parfaitement adéquate. Autrement, River se serait emparé de Léandre dans l'appartement miteux de Xoramen. River n'était pas du genre à prendre les choses à la légère en cas de doutes. River avait parfaitement confiance en Halewyn. Morayeel, lui, n'avait surtout pas confiance en les sbires de Halewyn et en Elthiriel face à Léandre.

Elle se glisse à l'intérieur et il donne la destination au cocher fantôme.

- General Electric Building.

Silence, pas de réponse. L'intérieur du carrosse, contrairement à l'extérieur, semble parfaitement tangible. C'est même très confortable, bien que ça sente le renfermé. Puis le petit coup annonçant le départ, Morayeel rentre complètement dans le carrosse et s'assoit face à Léandre.

- Manhattan est étonnante, tu sais. Surtout la nuit.

Léandre ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase qu’elle vient s’affaler à côté de lui dans un cahot. Aussi proche qu’elle l’ose. Ses yeux noirs le fixent en biais, sans se cacher. Elle croise ses bras sur sa poitrine, l’air boudeuse. Depuis qu’elle est toute petite, Morayeel a toujours su capter son attention.

Capter son attention mais pas la retenir.

Elle l’a défié, suivit, obéit, il n’a pas cherché à la contraindre, il s’est montré protecteur ou possessif. Il semble compter sur sa bonne volonté… Léandre ramène ses pieds sur la banquette de satin, se calant dans le coin. Elle a l’air d’un séduisant anachronisme dans ce carrosse. Machinalement elle triture la médaille à son cou.

Au seuil de l’adolescence. Fragile mais pas vulnérable. Pourtant sa mère l’avait jugée suffisamment menacée pour la cacher comme un précieux trésor qu’on refuse de partager, subterfuge par subterfuge, jusqu’à ce qu’elle rencontre Morayeel. Il avait suffit d’un seul contact pour le rendre responsable de tout. Et il avait juré qu’il serait là à l’instant de sa mort.

« MANHATTAN EST ÉTONNANTE... TU ME FERAS DÉCOUVRIR TON UNIVERS ALORS... MAIS COMMENT TU COMPTES T’Y PRENDRE POUR QUE JE RESTE AVEC TOI? » L’engagement. Elle avait forcé Halewyn à répondre à une question similaire il y a quelques heures à peine… « JE SAIS QUE TU NE ME FERAS PAS DE MAL... »

Sitôt assis sur le banc à l'intérieur du carrosse, il avait croisé la jambe gauche sur la droite et posé les mains sur son genoux gauche. Durant un moment, il regarde les ruines défiler à travers la vitre de la porte du carrosse et il écoute Léandre, l'air distrait, mais l'oreille attentive.

- JE SAIS QUE TU NE ME FERAS PAS DE MAL...

Il tourne la tête et la fixe, glacial. Il la détaille quelques secondes, puis hoche la tête.

- Non, je ne te ferai pas de mal. Il hausse les épaules, l'air détaché, mais c'est faux. Le mal est déjà fait de toute façon. Impossible de déterminer de quoi il parle. Je ne vais pas t'attacher. Ni même te retenir. Mais je n'ai pas confiance en Elthiriel lorsqu'il s'agit de toi. Si Halewyn, parce qu'il ne l'appelait papa que lorsqu'il parlait à Elthiriel ou en cas de nécessité et là, s'en est visiblement pas une, avait été conscient, tu serais peut-être encore avec lui. Peut-être même que je serais mort, insinue-t-il, mesquin, mais pas question de te laisser avec Elthiriel et son hydre, dit-il d'un ton plus que possessif. Le genre de ton qu'on ne voudrait pas entendre assorti à la phrase "Tu es à moi"

La mort frissonna. Il était glacial. Le froid brûle tout aussi bien que le feu et elle en ressentit profondément la morsure. Pourtant elle soutient le regard frigorifique qu’il pose sur elle. « JE NE T’AI PAS DEMANDÉ POURQUOI, JE T’AI DEMANDÉ COMMENT. » Noir noir noir comme la peur dans le noir.

«LA DERNIÈRE FOIS, T’AS DIT QUE TU NE LAISSERAIS PERSONNE ME FAIRE PEUR. T’AS DIT QUE TU VOULAIS QU’ON SOIT DEUX. QUE TU NE ME LAISSERAIS PAS SEULE. T’AS DIT QUE TU REVIENDRAIS. » Il avait mit 5 ans à revenir. A little bit older, a little bit colder. Ses yeux se sont assombris. Elle a vieillit, comme lui, mais il y a quelque chose de différent. Comme si la brillante petite flamme qui l’animait avait été définitivement soufflée. Elle vous mènerait toujours jusqu’au bout du monde, mais pour d’autres raisons. Elle avait été un phare que l’on suit. Elle était devenue la nuit que l’on fuit.

« C’ÉTAIT UNE BIEN MEILLEURE RÉPONSE. » fit-elle remarquer...

- C'était la seule réponse à te donner à l'époque, lâche-t-il, sèchement. Il esquisse une brève moue de contrariété. Je suis revenu, non ? Et le reste n'a pas changé, dit-il, le ton adoucit. Mais t'es plus une enfant, maintenant, t'as le choix. Il serre brièvement la mâchoire, comme si ce qu'il dira n'est pas pour vraiment lui plaire T'as le choix de partir ou non. T'as le choix de partir maintenant, ou de bénéficier du privilège de voir ce que devient l'Île Morte une fois la nuit tombée. Et après, t'auras toujours le choix de partir ou non.

Il l'avait toujours su, depuis le jour où elle l'avait touché. C'était avant une impression. Maintenant, c'est une certitude. Il est une Malédiction. Il marchera avec la Mort.

Il y était Presque… suffisait de dire qu’il souhaitait qu’elle reste.

Une main caramel l’agrippe par le devant de sa froc et il se retrouve brutalement à lui faire face. Oh c’est difficile d’empoigner une veste de cuir… Mais Léandre est une adolescente fragile. Pas vulnérable. « ÇA NON PLUS CE N’EST PAS UNE BONNE RÉPONSE. » grinça-t-elle, à genoux sur le banc. La mort est si près de lui que ses cheveux noirs lui masque le peu de lumière qui filtre dans le carrosse, son haleine a une odeur de gomme balloune.

Contrarié? Oh mais elle est soudainement contrariée elle aussi. Le privilège? À croire qu’il lui fait une faveur et qu’elle le récompense par un caprice. Léandre n’est pas capricieuse. Elle est sauvage et demande à être apprivoisée. Son attitude la heurte la blesse.

« JE VAIS RESTER LE TEMPS DE VOIR TON ÎLE MORTE… » annonça-t-elle… « ET APRÈS SI T’AS PAS TROUVÉ DE MEILLEURE RÉPONSE, JE M’EN IRAI. » Une petite secousse, elle raffermit sa prise. « JE NE SAIS PAS CE QUE TU ES DEVENU PENDANT LES 5 ANS OÙ JE T’AI ATTENDU, MAIS ÇA NE T’AS PAS AMÉLIORÉ! » Et d’une bonne poussée, elle le plaque dans le banc.

« EXCUSE-MOI, C'EST PAS TA FAUTE, JE CROYAIS QUE T'ÉTAIS MON AMI... » fit-elle en croisant ses bras sur sa poitrine, sa colère retombant soudainement. Elle n'avait pas l'air désolée du tout.

Il a presque sursauté quand elle l'a agrippé. Il a presque tremblé quand elle a dit qu'elle s'en ira. Et il n'a rien fait de plus quand elle l'a relâché.

Il est pourtant plus ébranlé qu'il ne le laisse paraître. Il pourra se vanter d'avoir vu la Mort de très près. Mais à qui pourrait-il se vanter, hein ? Rien de vivant en tout cas. Il recroise les bras, adoptant presque la même expression que Léandre. Un peu plus ébranlé, par contre.

Sur le plan de l'amélioration, c'est selon. Tout dépend de quelle amélioration elle parle. Mais bon, il se doute que ça n'a rien à voir avec la nécromancie ni d'autres trucs du genre.

- Je suis ce qui se rapproche le plus d'un ami, ici. Oui. On arrive bientôt. Regarde, c'est ce qui reste de Central Park.

C'est toujours le grand parc verdoyant, mais laissé à l'abandon. Dehors, l'atmosphère vibre. Le crépuscule est très avancé, il fait presque noir, mais pas tout à fait. C'est un entre deux.

Morayeel mettait en doute tout ce qu’elle considérait comme acquis. Ils avaient pourtant été amis. C’est lui qui l’avait voulu! Il était froid et sec, contrarié, alors qu’ils avaient été si proche autrefois. Et pourquoi insister sur le fait qu’elle n’est plus une enfant? Évidemment qu’elle a grandit en 5ans… La vérité est qu’elle n’est ‘presque’ plus une enfant… Pourquoi lui balancer ça comme un reproche? Où avait-elle fauté? C’était déstabilisant. Il rejetait tout ce qu’il y avait eut autrefois. Mais ça avait de l’importance pour elle.

Peut-être qu’apprendre à parler aux mort lui a fait oublier comment parler aux vivants. Elle lui décroche un regard. Baaah, il a l’air moribond. Elle lui ferait se souvenir ce que c’est qu’être vivant.

Elle se colla le nez à la vitre, admirant le parc. Destruction… Chaos… Mort… Toutes choses familières et sensibles. « C’EST TRÈS BEAU… » À la vibration se superposent des cris indistincts, comme si une nuée de corneille pouvait crier. Comme si on pouvait frapper un battement sur le système nerveux directement. Il a déjà eu cette impression auparavant. Léandre appuya ses mains sur la paroi translucide comme le font les jeunes enfants. Une ombre recouvrit ses mains. Elle les attire et c’est une puissante magie même si elle n’en a pas conscience. La seule personne qui n’y soit pas sensible, c’est lui… En théorie seulement parce qu’il est nécromancien.

Le carrosse ralentit et s’immobilisa devant le hall d’un immeuble.

« ICI, MAINTENANT, CE QUI SE RAPPROCHE LE PLUS… ALORS C’ÉTAIT AILLEURS, IL Y A LONGTEMPS QUE TU ÉTAIS MON AMI?? » Une toute dernière perche… « SI JE TE LE DEMANDAIS, TU ACCEPTERAIS? ENFIN, SI TU VEUX PAS, TU POURRAIS ME MENTIR UN PEU, JUSTE POUR CETTE FOIS!?! »

Le carrosse s'arrête, ils sont rendu.

- ICI, MAINTENANT, CE QUI SE RAPPROCHE LE PLUS… ALORS C’ÉTAIT AILLEURS, IL Y A LONGTEMPS QUE TU ÉTAIS MON AMI??

Brève hésitation, il secoue la tête

- Non...

Il se redresse à moitié, puis pose la main sur la poignée.

- SI JE TE LE DEMANDAIS, TU ACCEPTERAIS? ENFIN, SI TU VEUX PAS, TU POURRAIS ME MENTIR UN PEU, JUSTE POUR CETTE FOIS!?!

Il dévisage Léandre, une seconde ou deux, puis secoue la tête.

- Léandre, j'ai déjà menti à tout le monde.

Il ne va pas lui mentir à elle en plus. Il ouvre la porte du carrosse et descend. Machinalement, il lui tend une main gantée. Léandre a toujours eu l'aura d'un petit chef et, malgré ce qu'on pourrait croire, Morayeel y est sensible aussi surement que tout ce qui monte doit redescendre un jour ou l'autre.

- Je suis ton ami, Léandre.

Un très mauvais ami, certes. Mais venant d'un type qui n'a pas d'ami et qui n'en veut pas, c'est une affirmation troublante.

En apparence, on aurait pu croire qu’elle partageait l’innocence de son père… Parce qu’aimer Samuelle avait été une aventure allant bien au delà de l’inconscience. Harkaitz était inconscient, César était innocent. Et Léandre? Le cœur de la métisse fit un bon en avant, effaçant de ses traits tout air maussade et malheureux. « À MOI, T,AS JAMAIS MENTI… » lui fit-elle remarquer. « ALORS ÇA ME VA! »

Qui a déjà eut une poigne assez solide pour empêcher qqn de se vautrer en le tenant par la main? Certainement pas ce frêle jeune homme! Léandre néglige la main gantée et adopte l’approche directe et volontaire qui la caractérise. Une main sur son épaule et elle se jette dans ses bras en sautant en bas du carrosse…

« DE TOUTE MANIÈRE, MAMAN EST BIEN PIRE QUE TOI... ET JE CROIS QUE MON ONCLE PAUL EST ENCORE PIRE QU'ELLE... »

Léandre était de ceux qui ont si longtemps vécus dans le périls le plus grand qu’ils peinent à voir une fluctuation dans le danger. S'écartant de lui, l’adolescente rectifia sa mise, tirant sur son tshirt pour le défroisser, et la mort s’avança. Elle leva les yeux au ciel, appréciant l’architecture du building un bref instant, fit une vrille sur elle-même et reposant ses yeux noir sur morayeel, elle proposa : « ON Y VA? JE SUIS IMPATIENTE DE VOIR CE RIVER QUI TIENT SI FORT À ME GARDER EN VIE! »

L'assaut le surprend. Elle qui évitait de le toucher, parfois... quoique depuis les dernières minutes... m'enfin... difficile à expliquer... bref, le choc le fait chanceler, mais il tient bon, puis la pose sur le sol, surtout à cause de la gravité...

Oui, il savait pour Samuelle. Oncle Paul, lui, il ne le connaît pas assez pour s'en faire une idée. Samuelle avait demandé à Mo, il y a quelques années, de ne pas lui révéler qui elle est. Promesse tenue.

- Oui, allons-y.

Il lui ouvre la porte et la laisse passer devant. C'est un immense hall d'entrée. Il doit être lumineux le jour, mais là, la nuit tombe et il commence à s'animer. Des fantômes sont déjà en place et l'ascenseur fait ding et s'ouvre sur un zombie à la peau grisâtre vêtu d'un costume de monsieur d'ascenseur.

- Tout en haut.
- Oui, vivant.

Marque de politesse, les morts avaient un grand respect pour les vivants. Ne voulaient-ils pas vivre eux aussi ? Et oui, une fois que les portes se referment, l'ascenseur fonctionne parfaitement. Les morts sont débrouillard. River a dealer ce détournement d'électricité vers l'île morte en échange des 391 inquisiteurs fait prisonniers par les morts en 2012. Les morts adorent les ascenseurs, surtout ceux morts avant leur invention. C'est d'ailleurs l'unique utilisation de l'électricité sur Manhattan. Bref, tandis que l'ascenseur grimpe les étages, Morayeel donnes quelques petites précisions à Léandre.

- Ne t'attends pas à ce qu'il t'accueille avec un grand sourire et surtout pas qu'il ait l'air sincère. Les morts n'ont pas d'émotions, ce qui ne signifie pas qu'il soit mécontent. Aucun mort vivants ne manifeste une émotions, bien que certains tentent de les reproduire. Ils peuvent te raconter une blague et hurler de rire, mais ça n'a jamais rien d'émotif, ce sera parfaitement contrôlé. Ils ne sont pas furieux, pas triste, pas heureux, ils sont là, c'est tout. C'est bizarre au début, mais on s'y fait. Il hausse les épaules. Lui, en tout ça, ça lui convenait parfaitement ainsi. Tout ceux que tu croiseras ou presque, sont morts. Mais ils ne détestent pas les vivants. Ils veulent juste qu'ils les laissent "vivre" en paix. C'est pour ça que River à conquis l'île de Manhattan et qu'il en gardes les frontières. C'est une très grande île et avant qu'elle soit pleine à craquer, ça va prendre encore quelques années. Les morts, c'est moins prolifique que les vivants. Tous les morts qui habitent Manhattan jusqu'à maintenant, c'est River et moi qui les avons fait venir, dit-il, avec un brin retenu de fierté dans le ton, Mais c'est pas de la vraie nécromancie. Ces morts-là, ils attendent dans ce qu'on pourrait appeler les limbes, de revenir ici. La vraie nécromancie, c'est quand le mort a traversé les limbes et qu'il est bel et bien mort. Il s'emballe. Il adore ça. Une véritable passion. Mais la véritable nécromancie, c'est complexe. Surtout quand on est vivant. River y arrive mieux, mais il est mort, c'est comme avoir eu un pied dans la pièce. On arrive...

La porte de l'ascenseur s'ouvre sur une immense salle ouverte sur l'extérieur sur trois côtés. Il fait bel et bien nuit, dehors, mais des torchez brûlent un peu partout, suspendues au plafond.

Un gong se fait entendre, il est 20h et il fait noir.

- Allez réveiller les vampires ! C'est... ah, Morayeel. T'as traîné.
- Non, pas tant que ça.
- Oh, c'est la p'tite, dit-il, sans émotion, puis il grimace un sourire forcé, sans la moindre apparence de véritable joie, mais c'est le mieux qu'il puisse faire.
- Tu vois ce que j'avais dit.
- Tu te moque encore de notre incapacité à sourire pour vrai ? Je souriais quand j'étais vivant tu sauras.
- J'en doute pas.
- Et pis toi, t'es capable, mais tu le fais pas. C'est navrant... si j'étais capable d'être émotivement navré, du moins.
- J'vois pas ce que ça change. Il hausse les épaules. Léandre River. River, Léandre.

Léandre sourit, un grand sourire parce que c’est encore une gamine expressive, émotive. « C’EST VRAI QUE C’EST NAVRANT… » fit-elle en lui flanquant un coup de coude familier… Elle revint immédiatement à River. « VOUS VOUS PORTEZ BIEN… » remarqua-t-elle. « MIEUX QUE LA DERNIÈRE FOIS… » C’était il y a 5 ans… Elle était présente, frêle silhouette en pyjama, vampirisée de toute son énergie par son oncle... « ALORS VOUS VOULEZ ME GARDER EN VIE? COMMENT VOUS ALLEZ VOUS Y PRENDRE? »

- C’EST VRAI QUE C’EST NAVRANT… Un coup de coude ? Quoi ? Il en a manqué un bout ? Il fronce les sourcils et dévisage Léandre. Pourquoi navrant ? Il hausse les épaules.
- VOUS VOUS PORTEZ BIEN… MIEUX QUE LA DERNIÈRE FOIS…
- Ah, oui, tu te souviens ! Oui, plus on s'ancre dans cette réalité, plus on prend du corps, si tu vois ce que je veux dire. Il ricane, sans joie, parce qu'il lui semble qu'un ricanement est à propos.
- ALORS VOUS VOULEZ ME GARDER EN VIE? COMMENT VOUS ALLEZ VOUS Y PRENDRE?
- Tout d'abord s'assurer qu'ici, personne ne te prendra pour sa bouffe. Et il pousse un autre ricanement. River fait de l'humour... un humour de cadavre. Il lui fait signe d'approcher. Tu sais, Léandre, on est mort, mais on est pas des monstres sanguinaires. Mais beaucoup d'entre-nous se nourrissent de corps. Et les vivants ont très peur de nous. Si tu meurs, on va tous mourir avec toi. Enfin, sauf Morayeel, il est vivant, lui. C'est presque un reproche. Mais bon, comme t'es la seule vivante qui peut nous anéantir, en fait, on va s'assurer que tu resteras vivante encore de longues années. On a que ta vie à vivre, mais ne le dit à personne. C'est un secret. En attendant, Morayeel va faire pour que personne ne te tue. J'ai perdu l'habitude de savoir quoi faire avec les vivants, du moins pour les garder en vie.

Morayeel hoche la tête, avec assurance. Il n'a pas poignardé Léandre pour rien, après tout. C'était pour la garder vivante. Mais à vrai dire, c'était un geste égoïste.

- Je retoucherai ton médaillon, Léandre. Pour le rendre plus efficace.
- J'avais tout d'abord pensé t'enfermer ici, mais Morayeel a dit que c'était une mauvaise idée de cadavre. Il hausse les épaules, l'air de pas trop comprendre où est le problème. Les morts sont généralement un peu déphasé avec la réalité des vivants.

« C’EST EFFECTIVEMENT UNE MAUVAISE IDÉE DE M’ENFERMER… » approuva l’adolescente. Juste à l’intonation, on devine quelque chose de sauvage… Comme une brise chargée de flocon dans une court à bois.

Léandre retire ses doigts du médaillon… Elle avait la manie de le tripoter… Il n’avait jamais expliqué comment il l’avait entravée… Elle fronça les sourcils en une question muette et venant se ranger auprès de son ami, fit une dernière mise en garde à River : « IL Y A DES GENS QUI VONT VOUS CRÉER DES PROBLÈMES… MA FAMILLE… ENFIN PAS MAMAN NI ONCLE PAUL, MAIS LE RESTE DE MA FAMILLE… DAEE, ÇA VOUS DIT QUELQUE CHOSE? »

- Daee ? Oui, ça me dit quelque chose. Même très quelque chose. Quelques uns bossent à la surveillance. Enfin, ils nous surveillent.

Il connaissait les Daee qui suivaient la progression des morts sur l'île, de loin. Ils refilaient ensuite les infos à l'Inquisition. River n'y avait jamais vu d'inconvénients, jusqu'à ce moment précis. Il jette un coup d'oeil à Morayeel, impassible comme un cadavre.

Il connaissait aussi les Daee de son vivant. Quand Jinx Daee venait passer la fin de semaine au camp, avec une ado désagréable sur les talons. Une ados qui avait mal finit, plus tard, pour ce qu'il en savait.

River hausse les épaules, pour ne pas inquiéter Léandre et il y va d'un de ses sourires figé.

- T'en fait pas, Léandre, s'ils nous créent des problèmes, nous allons leur régler leur cas. On a le droit de vivre, non ?
- Mais non, on est mort. D'ailleurs, c'est leur prétexte à l'Inquisition pour nous attaquer, on est mort, on n'a pas le droit de vivre. Une délicieuse créature vient d'entrer, délicatement vêtue, elle a l'air d'avoir à peine le début de la vingtaine. Les Jacks sont prêts ? Les goules sont affamées.
- Ah, Sab, oui, je crois bien. Allez, vous avez la nuit.

Morayeel se penche vers Léandre et explique.

- C'est nuit de sortie, les goules vont aller profaner un cimetière, pour manger et les Vampires vont sans doute aller s'éclater dans un bar ou une discothèque, question de grignoter un vivant un peu.

« MAMAN A … » Elle hésite. Assassiné grand-père était une expression pouvant donner l’impression que sa mère était le type de personne qui assassinait d’autres personnes. C’est le cas mais… « NEUTRALISÉ LE PLUS GROS DU PROBLÈME IL Y A 5ANS. LA PLUPART DES COUSINS NE SONT PAS DANGEREUX MAIS ILS RESTENT DES BAVARDS INCONTINENTS À LA SOLDE DES ASSERVIS ET EUX, SONT UN PROBLÈME. » Elle s’adressa à Morayeel. « MES ONCLES PIERRE ET PAUL SONT UN TRÈS GROS PROBLÈME. » Elle réfléchit un instant. « ADAM AUSSI. ADAM EST UN CHASSEUR, UN BON… »

Mais Léandre n'a pas fini de s'expliquer que la vampire se glisse dans la pièce.

Oh-my-god!

Ok, Lame était une professionnelle. Mais ça… Ça c’est une ensorceleuse. Léandre la regarde avec admiration, bouche bée pendant un bref instant. « MAMAN AUSSI ADORE PROFANER LES CIMETIÈRES. » Puis à Sab : « VOUS ALLEZ SORTIR CHEZ LES VIVANTS? VOUS N’ALLEZ PAS TUER QQN QUAND MÊME? ONCLE PAUL DIT TOUJOURS QUE RIEN NE JUSTIFIE QU’ON TUE QUELQU’UN! » Une conscience soigneusement, habilement tordue, gauchie. Oncle Paul est pire que maman avait-elle affirmé...