Le Plan Divin

Une table… De marbre d’un blanc immaculé. Si grande, si vaste, qu’on ne pourrait pas la bouger. Elle semble lourde, on peut voir son propre reflet sur sa surface tant elle est parfaitement vernie. La pierre elle-même est sans marque, sans striure d’imperfection. Le marbre est blanc. Juste blanc. Ni teinte de gris ou de noir comme l’est normalement le marbre. Blanc éclatant… Autour de cette table sont disposées neuf sièges. Des sièges luxueux, faites du même matériel, tout aussi pur. Des sculptures grandioses dont le dossier est gravé, à sa plus haute extrémité, d’un nom qu’on ne peut pas lire tant la pierre est claire. Le majestueux meuble semble être placé au milieu de nulle part… Il n’y a rien autour. Rien du tout sauf un bleu violacé qui semble teinter le fond… Le sol est vide. Nu. Un grand plancher, tout aussi clair que la table, probablement également fait de marbre. Les pattes du meuble semblent flotter au dessus du plancher. À quelques millimètres tout au plus… Mais elle ne bouge pas, comme si quelque chose d’invisible la tenait au dessus du sol. Une couche de tapis invisible.

Apparaissant de partout, d’ailleurs, de nulle-part ou peut-être du plus bel endroit des plans divins, arrivent huit êtres. Tous parfaits… Leurs traits sont différents, ils n’ont pas les mêmes yeux, les mêmes cheveux, le même visage, mais ils ont tous une perfection surnaturelle… Ils sont blonds, noirs, bruns, roux, gris, blancs… Pas un seul ne se ressemble… On ne peut pas non plus déterminer s’il s’agit d’hommes ou de femmes. Leurs corps sous de longues toges amples, souples, d’un tissus particulièrement fin, qui tombe sur leur anatomie comme s’il avait été créé expressément pour eux, cachent toute possibilité de prendre une décision quant à leur sexe. Ils sont d’une beauté sans limites… Un seul d’entre eux porte quelques différences… Il se dirige vers le plus haut siège, le plus grand et le plus massif, celui dont les sculptures sont les plus impressionnantes. Le trône recule légèrement, laissant la place à l’être pour se glisser devant, sans maladresse, avec une grâce qui n’est pas celle des humains.

Il porte deux longues cornes majestueuses au front. Les mêmes que celles d’un taureau. Un peu plus fines et dorées. Sont teint est le même, comme si ses cornes n’étaient qu’une prolongation de sa peau, son teint aussi brillant que le précieux métal terrestre. Ses yeux sont d’un blanc clair, ne laissant qu’une mince ligne toute pâle pour départager l’iris du reste de l’œil. Ses cheveux sont également blonds. Un blond propre, parfait, doré, sans pencher vers le roux ni le cendré. Un blond d’or, comme les blés. Raides et très longs… Six ailes sur son dos. Trois paires s’étendant à n’en plus finir, touchant l’infinité, frôlant l’inexistence de murs. Il s’assoit donc, d’un mouvement surnaturellement calme et fait signe aux autres de faire de même. Chacun imitant l’ange cornu se tenait auparavant derrière un siège au nom gravé… Quand ils prennent place, les noms s’illuminent doucement, subtile lueur rendant distinguable leurs noms, d’une couleur différente pour chaque ange dont les ailes sont plus courtes mais tout aussi majestueuses. Repliées pour prendre moins de place, bien que la table soit immensément grande, ils tournent tous la tête vers celui qui se trouve à l’extrémité…

Personne ne parle… Pas un seul d’entre eux ne dit un mot… Ils savent qu’il se passe quelque chose… Qu’il se prépare quelque sombre affaire dans le monde des hommes. Un siège entre les noms illuminés de Sitael et Mahasiah est inoccupé, le nom en reste presque invisible. Gravure pâle dans la pierre blanche qui ne laisse que vaguement voir un nom commençant par E… L’un d’entre eux se trouve là-bas. Ils devront aller le récupérer avant de le perdre définitivement. Mais qui descendra le chercher ? Les Séraphins ne mettent jamais les pieds dans le monde des hommes… Presque jamais. Il serait trop facile pour eux de tomber dans l’extrême. De se laisser aller à ces péchés qu’ils guettent mais qu’ils ne connaissent pas. Dont la tentation n’a jamais eu de prise sur eux. Seulement à l’occasion de cette créature que l’on appelait le Phoenix, ils ont du envoyer l’un d’entre eux… Cette tête brûlée d’Elemiah curieux comme il était, s’était rendu en bas sans peur et sans se douter qu’il chuterait avec tant de facilité… Et on ne l’avait jamais revu dans son état de grâce. Jamais il n’avait remis les pieds au conseil des Séraphins, ni même dans le plan Divin. Ça ne donnait pas envie de se porter volontaire pour l’imiter.

- Qui ira ?

Fit une voix lourde, colossale, venant de partout à la fois, mais d’une douceur infinie. Elle ne faisait pas peur. Elle était pesante mais ne donnait pas de raison de s’effrayer, seulement envie d’obéir comme si jamais rien d’autre n’avait eu d’autorité que lui dans l’univers. Les lèvres de Mettatron remuèrent au moment ou la voix enveloppa chaque Séraphin qui se redressèrent doucement, attentifs à leur Régent.

- Elemiah était le seul qui était assez …fou, pour descendre… Assez courageux pour sauver la réputation du Dieu qui est sensé veiller sur les Mortels et le nôtre, qui sommes sensés protéger les hommes des Démons…
- Avec ce qui se prépare il faudra bien faire quelque chose pour lui si nous ne voulons pas le voir disparaître pour de bon.
- Nous ne pouvons pas le laisser s’éteindre dans le Péché avec les hommes. Il est un Séraphin, ce serait injuste de disparaître dans cet état de disgrâce.

Tous se tournèrent vers Sitael, celui qui se trouvait à la gauche du siège inoccupé.

- Sitael, que racontes-tu là ? Fit Mettatron en se renfrognant, ses fins sourcils provoquant sur sa peau parfaite un pli contrarié au milieu de son front.
- Cessez de vous mettre la tête dans le sable. C’est l’Apocalypse qui se prépare en bas. Nous ne pouvons rien y faire, même si notre raison d’être est de protéger l’humanité, de veiller sur eux.

Fit le dénommé Sitael, roulant les yeux, blasé… Le Séraphin de la Vérité et de la Protection hocha la tête.

- C’est une guerre entre la Malédiction qui pèse sur l’homme depuis toujours et sa volonté de survivre. L’Apocalypse, c’est ce qui est sensé arriver depuis le début des temps.
- L’Apocalypse, c’est la punition. C’est la fin du monde tel que les hommes l’ont connu.
- Nous savons Cahetel.

Reprit la voix pesante de Mettatron, mettant fin aux paroles un peu trop fatalistes des deux autres qui se turent respectueusement, obéissants.

- Nous ne sommes pas ici pour expliquer ce qui se passera en bas. Nous sommes ici pour décider duquel d’entre nous ira récupérer Elemiah avant que cette… Catastrophe ne se produise. Laisser l’un d’entre nous y passer avec les hommes est parfaitement impensable. Il a beau avoir été consumé par le péché de Colère et bien d’autres, il ne mérite pas d’être pris dans le tourbillon de la fin de l’homme. Il n’est pas un mortel. Il se doit d’être ici pour accueillir ceux qui arriveront, tout comme nous.
- Parce qu’ils seront plusieurs à monter. Le personnel Divin se doit d’être complet.
- Nous avons besoin de lui. Nous devons tous être là.

Lalehel fronça les sourcils à son tour, posant la question que quatre d’entre eux se posaient depuis la disparition d’Elemiah, presque des millénaires auparavant…

- Pourquoi avoir attendu que l’Apocalypse se présente pour prendre la décision d’aller le chercher ?

Les autres pincèrent les lèvres, Mettatron fixant Lalehel d’un œil sévère avant de se radoucir, un sourire serein, contenant quelque chose de narquois se profila sur ses lèvres.

- Il n’a pas fini ce pourquoi il est descendu. Phoenix existe toujours… Il nous a dit qu’il ne remonterait pas tant que l’oiseau n’avait pas cessé d’exister…
- Mais… À mon souvenir, il y a quelques années terrestres, ça a été fait, non ?
- Si. Fit Mettatron en haussant les sourcils, son sourire restant figé sur ses traits. Mais il est revenu sous une autre forme. Il s’est réincarné. L’oiseau n’a pas encore cessé d’exister donc.
- Mais…
- L’Apocalypse approche. Il faut récupérer Elemiah. Il a assez souffert sur terre de toute façon… Il a bien assez cuvé ses Péchés, nous pouvons nous permettre de lui rendre son ciel maintenant…

Un fracas de vide, un souffle de vent violent tourbillonne, agitant les ailes des Séraphins qui lèvent la tête, curieux et légèrement inquiets pour voir apparaître au milieu d’eux un Ange à la stature d’adolescent, petit brun, se tenant droit, deux longues ailes blanches repliées sur son dos, une robe blanche bleutée, à hauteur de Mettatron, une lampe rouge dans la main, triturant la poignée de l’objet avant de se pencher sur le Régent des Séraphins et de lui murmurer quelque chose à l’oreille qui déforma les traits de l’Archange en une surprise horrifiée…

- Quoi ?!

S’exclama Mettatron en haussant les sourcils… Puis le régent des Anges, Gabriel, disparut dans le même tourbillon de vent, préférant éviter d’assister à la réalisation que l’un d’entre eux avait peut-être définitivement été effacé de la carte… Pourquoi c’était toujours lui qu’on envoyait livrer les messages d’ailleurs ? Les bonnes nouvelles, faut dire que c’était bien, mais celles dans le genre de celle-là il aurait pu s’en passer…

- …Que se passe t-il, Mettatron ?
- Ça va aller… ?
- …Vous étiez au courant que l’enveloppe charnelle d’Elemiah avait été détruite après qu’il se soit battu contre Phoenix ?

Demanda presque maladroitement le régent des Séraphins, visiblement choqué… Pourquoi n’avait-il pas été mis au courant ?

- Vous ne pouvez pas être sérieux !? Comment est-ce arrivé ?! Qui a pu avoir assez de pouvoir pour détruire l’enveloppe charnelle d’un Séraphin !
- Oh putain…
- Achaiah, surveille ton langage.
- Pardon.
- Aurait-il pu se réfugier quelque part une fois son corps détruit ?
- Une plume… C’était dans une plume qu’il s’était réfugié la première fois que c’était arrivé… Phoenix l’avait épuisé au point auquel Elemiah avait du se désintégrer et se réfugier dans un objet… C’était une plume.
- Comment se fait-il de toute façon que nous n’ayons pas été mis au courant avant qu’Elemiah « N’existait plus » ?!
- C’est pire que le Gouvernement mortel ici parfois…
- Achaiah enfin !
- Pardon.
- Un retard de presque six ans dans les renseignements quand même…
- Mahasiah, ne t’y mets pas aussi je t’en prie.

Ce dernier haussa les épaules… Puis l’un d’entre eux se retourna vers Mettatron, le plus près de lui, Vehuiah…

- Qu’allons-nous faire alors ?
- Retrouver l’esprit errant d’Elemiah.
- S’il est errant, ce s’ra tout un défi de mettre la main dessus… Comment est-ce que tu comptes faire ?
- Nous descendront tous … Nous allons tous aller sur Terre et chercher notre frère.

Toutes les voix s’élevèrent en même temps pour protester mais le Régent se leva, faisant taire toute l’assemblée dans le mouvement, tendant son bras devant lui, sévèrement pour les faire taire. Obéissants, les Séraphins se turent, retenant toute protestation qu’ils avaient en travers de la gorge.

- Le péché l’a gagné, certes. Mais il a assez souffert. Il a assez attendu. Il aura tout le loisir de se repentir ici une fois que nous l’auront ramené. Il est l’un d’entre nous. Un Séraphin. Il ne mérite pas que nous le laissions là alors que la majorité des hommes disparaîtront. Je refuse de laisser mon frère dans cet état et de l’abandonner ainsi, nous l’avons bien assez laissé espérer sans jamais lui répondre. Il est des nôtres, vous devriez le savoir, le réaliser. Ne soyez pas sans cœur, pensez à lui… et pensez à ce qu’il aurait fait pour vous si vous étiez à sa place… À une époque, il était le plus fonceur d’entre nous. Le plus courageux.
- Et pour l’Apocalypse ? On va laisser couler ?
- Ne disais-tu pas que c’était la punition des hommes ?
- …Si mais tout de même… Ils ne s’y attendent pas du tout…
- Ce ne sont pas nos affaires Cahetel. Nos affaires à présent sont de récupérer Elemiah.

Cahetel, Lelahel, Mehasiah et Sitael se regardèrent en silence… Les autres se levèrent avec Mettatron, disparaissant pour se préparer, passant derrière un rideau de vide, traversant l’invisible pour se rendre Dieu seul sait où… Ils descendraient sur Terre pour récupérer leur frère… Les quatre derniers se jetèrent de petits coups d’œil nerveux, plutôt d’accord sur l’idée de prévenir l’humanité de sa fin proche… Ce n’était pas juste pour les hommes… Puis ils disparurent à leur tour dans des froissements d’étoffe et des battements duveteux…